LA CONFITURE DE CAROTTE

Le Picardie est au Café des sports ce que Jonas est à la baleine, une histoire d’enfants assis au bord du monde qui ne vous diront jamais que tous leurs mensonges sont vrais.

1
Ainsi de jambes en jambes fragilement croisées, ça fait la roue, ça fait des plumes de pan, ça donne du confetti danois et ça fait des tours de manège. Alors plutôt que d’ouvrir les yeux, ils s’ouvrent l’âme et les oreilles et certains soirs de chant on s’aperçoit que le manège est joyeux et tourne sur lui-même sans voiture de pompier ni rouge ni bleutée.

2
Les acrobates sont fixés au sol et donnent des ailes aux anges. Plus rien ne peut les arrêter que le simple fil tendu entre le froid des automnes et les rayons de soleil du maître des étés limousins, lointains souvenirs de « grand-mères confiture ».

3
Il y a des Américains à chaque tour de force Nous les avons vus, nous avons vaincu, nous les avons vomis, chaque dimanche matin entre la messe et Jacques Martin, à l’heure qu’on met du sel dans l’eau des pâtes.

4
La montagne est à peine à ski, les violons sont désaccordés en sol, les arbres sont immortels, les phoques mettent les voiles, la confiture sent la carotte et la sciure au plancher n’est que l’âme du diable : nous marcherons dessus en ignorant la main de celui que l’a semé.

5
Les têtes sont hautes et fières, elles savent les directions des vents. Elles sont des oiseaux migrateurs et chaque appel est un nouveau départ. Les yeux refusent ce que la bouche invite, les doigts sont dispersés vers d’anciennes mamans que les débats pervers ont maquillées de noir satins.

6
Les mains dansent d’étranges ballets silencieux. Les poings sont serrés dans les poches comme pour se souvenir. Elles sont sûres qu’elles n’iront plus au bal et pourtant la musique grignote encore sous la paume et leur ronge les ongles tant que les doigts tapotent sur la table des pendus comme on bat la chamade.

7
Le temps est à chacun. La minute pour lui, l’après midi pour l’autre : chacun sa permission de minuit. La fin sera terrible ou belle. A chaque jour son jupon à chaque nuit son galant : tout n’est qu’une question d’heure, de la place de l’heure, de la couleur de l’heure, de la longueur de l’heure et quand la bonne heure arrive, on soupire secrètement qu’il est peut-être encore temps.

8
La joie est ici en caillou, en tas de cailloux, en montagne d’amour. Point de petit, point de moindre, point de à peine, juste, un peu. Tout est grossit, tout est en loupe, tout est craché, déchiré, laminé. La politique est au pire du rire. Les Triboulets tirent des quatre coins des phrases assassines qui n’assassinent personne que ceux qui les ignorent qui sont encore dehors et qui sont déjà morts.

9
Demain, nous irons à la pêche, toute la journée, tranquilles, assis dans l’herbe avec juste le chant des oiseaux et le clapotis de l’eau qui coule. Retrouver les sources de l’humain quand il n’était encore qu’un simple pêcheur. Les canes à pêche sont prêtes et n’attendent que toi, demain nous irons à la pêche et l’autre ira à la chasse.

10
Et c’est quand ça chante que les yeux se parlent. La lumière s’allume tout au fond de l’iris, là où siègent nos peurs, nos désespoirs, nos claques dans la gueule. Quelques notes chantées comme un coup de balai sur le perron de l’âme et le torse se bombe. On souffle et on s’écoute, on avance à grand pas sur des chemins que d’aucun nous aurait interdit. On est des géants qui laissent derrière eux les années d’humiliation dans la fumée gluante du pot d’échappement de l’énorme Limousine.

11
Les coups de théâtre s’additionnent au rythme d’une valse lente. Ils viennent de la fumée des bleues, des larmes écarlates, du balcon de la dame aux dentelles, du galop des chevaux ou des pages jaunes du journal. Les personnages naissent et meurent au fil de la parole. Jamais ceux qui se complaisent n’auront autant parlé que dans la blague à Toto qui se prend pour Jésus.

12
Les avions nous attendent. Nous partirons demain. La nuit peut nous prendre la main, nous sommes d’accord jusqu’à celui qui dort. Nous présentons aux ministres de l’aube quatre cent quarante dix huit amendements aux divers interdits, surtout pour les pauvres. Le vote est quotidien et définitif. Le bulletin est tout rempli de nous et de nous. C’est le dessous de l’iceberg que les grands n’ont jamais vu. Tout l’envers de l’histoire est entièrement contenu ici, dans ce regard là qui savait tout.

13
S’il le faut nous appellerons les chiens verts des académiciens mais non de diou il ne sera pas dit que le monde appartient au grand monde. Prenons place en la place. Les banquiers, les métros, les trottoirs, les vitrines, les panneaux indicateurs, les grues, les voitures de pompiers, cette chanson de Luis Marino, les arbres de la cité, les photos de six mètres sur quatre, la bibliothèque, le Pont de Charenton, le ciel et même l’horizon : Tout est à nous !

14
Un nouveau pape est en préparation. Il aura des oreilles d’âne et un manteau d’utopie. Pour l’heure il prépare son sermon. L’ample courbure de sa silhouette quasi « bébé-cadum » semble l’exacte réplique des icônes moyenâgeuses un tantinet dépassées en ce siècle nouveau. Serein il repeint l’avenir à la pointe du pinceau. Dans l’angle du tableau, des anginettes le boivent du regard : il était temps parce qu’on commençait à s’emmerder sérieux au couvent des hirondelles.

15

Alors on s’aime de tous les cotés, à cœur perdu, en coup de poker, en échec et mat. On adore les nouveaux rideaux. Le point de croix se mêle à la charrue du Périgord. On se souvient de lointaines Grottes des Demoiselles. On a fait toutes les guerres, mai soixante huit et Manufrance. On est une histoire de France sans faille parce qu’on a lu tous les livres au détail près, d’ailleurs des livres on en a et si tu veux, on peut t’ en prêter ! Et ferme la porte avant de partir, il fait froid dehors !

16
A chacun son Afrique : l’Africain n’est pas celui qu’on croit. La vie est mal foutue et ne pose pas ses enfants à l’endroit qu’il faudrait. L’autre s’en est allé, il y faisait trop chaud et pas assez de blanches. L’autre y retournera pour cette peau d’ébène. L’éclat de bonheur est placé à cet endroit précis, juste entre le noir et le blanc. Ou bien c’est juste pour rire et dire en Peul qu’on s’aime en vrai !

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Allez hop ! A cheval ! Galopons dans les carrés blancs ! Suivez-nous les amis et sus à l’oppresseur ! A nous deux Chimirac et compagnie ! Honte à toi Josmipin de perdition ! Alerte ! Ce qu’il nous faut c’est de la lumière pas des notes d’électricité ! Prenez garde messieurs les gardes-champêtres des espaces urbains : y a un raz le cul massif qui se tasse dans le fond de la gorge prolétarienne et dans pas longtemps ça va cracher !

18
Tu les as vus toi, les nouveaux rois ? Tu les as vus déshabiller les consciences dans les laboratoires numériques qui font de la danse une révérence ? De l’art une poterie ? De l’homme un emploi du temps et de la femme un carnet à spirales ? Tu les as vus s’agiter le bocal rose bonbon à raz la choupinette que même au bois de Vincennes les chevaux ont plus de dignité et la tête moins basse ? Ont-ils goutté, au moins une fois dans leur vie de consommateur accompli la confiture de carotte que me faisait Denise ?

19
Maintenant la question est posée : de quel coté se trouve la farce et où tu mets les piles. C’est pas tout ça : Il nous faut de l’essence pour avancer ! Tant bien même on voyage en sur-place, tant bien même il nous faut carburer. A peine un clin d’œil et tout a déjà bougé. Là-bas c’est le bras du manchot qui vient de tomber, plus loin c’est le chant des baleines qui nous brouille l’écoute. Chaque seconde est lourde et porte une histoire de France qui nous pend au nez. Et nous, mon pauvre Albert, nous pataugeons dedans !

20
Et du rouge, et du bleu, et de vert, et du jaune et de l’or bien sûr, et de l’eau, et du parfum pour les filles, et des vélos, et des cabanes en bois au bord de l’eau, et du pain, des éponges, du sel, des figues, de la confiture de carottes, et des jetons pour aller au bal à Julot, et plus encore qui alimente cette vie ferme et drôle qui se tisse mot après mot sur cette table là nettoyée, toute les demi-heures pour cause hygiène administrative. Mais qui a vraiment conscience que c’est l’homme qui est né du mot et non l’inverse ?

21
Nous avons capturé les armées du monde fermement et définitivement. Dormons tranquilles, rêvons douillet, câlinons dare-dare, caressons doux, doucement et longtemps, alignons nos bisous, serrons nos poignées de mains, fermons les yeux : on y est presque ! Pour un peu on entonnerait « La vie en rose » si nous n’avions une légère préférence pour le rouge, plus près du sang des ouvriers qui nous ont engendrés…

22
Ah ! Ma franginette ! Pourquoi ne m’écris-tu plus ? Tu te rappelles ? A dix heures trente deux tu allais jusqu’à ta boîte aux lettres et là, déjà, tu savais. L’amour était là tout entier dans le parfum qui s’élevait subtilement dans le hall de l’immeuble ancien. Tu prenais l’enveloppe et tu la passais sous ton nez, ton cœur battait très fort, poum-poum. Alors tu l’ouvrais doucement et tu commençais la lecture en respirant très fort, si fort qu’à la fin tu embrassais l’enveloppe. Maintenant un mail et c’est bâclé ! Ou alors embrasser l’écran…

23
Rien ne nous arrêtera dans notre immobilité stérile. Parce que le « rien » reste sans doute notre dernier salut. N’attendre rien, ne rien vouloir, rien à branler, rien à battre, rien à foutre : non, rien de rien. C’est comme ça que certains soirs, on danse la gigue sans fifres ni tambours comme ça, pour rien !

23bis

Pour rien !

24
Chaque phrase est définitive et bonne à classer puisque tout est chef d’œuvre ! Désormais nous déclarons sublime toute action résultant de nos réflexions, intimes ou publiques. Si l’homme a inventé le mot exceptionnel, nous inventons le mot déblicitionnel qui à lui tout seul dépasse tout qualificatif. Vive moi, vive toi, vive nous !

25
Nous irons en Espagne, il y fait plus chaud et puis on fait la sieste…   Faire la sieste en Norvège c’est ridicule… Nous irons en Espagne, les maisons y sont blanches et il y a de  l’ombre… Nous irons en Espagne puisque nous sommes anarchistes…

26
Qu’ils y viennent les donneurs de leçons ! On les attend pieds debouts ! Qu’ils osent les vilains ! Même une rose à la main le mensonge reste un mensonge. Nous avons vieilli sous le mensonge, trimé sous le mensonge, grignoté sous le mensonge, milité sous le mensonge. Le mensonge nous l’avons bu, digéré puis vomit alors si vous voulez faire un concours on vous attend !

27
Et les autres, ceux qui viennent par hasard, n’en reviennent pas : Il y a un nouveau monde ici. Si tu ouvres bien les yeux, tu as bien au moins cinq poètes au mètre carré, mais comme ici on compte en rond tu peux fermer le cercle, ils chantent quand même. Pas pour la fortune, pas pour le m’as-tu-vu, pas pour rien non plus : ils chantent pour nous grossir…

28
Et quelquefois ça marche, quelquefois ça déborde et ça fait des tempêtes avec des vagues hautes comme ça ! Un typhon dans le siphon bouché de l’évier ! Une spirale où tous on s’accroche et ça nous plaque au bord quand ça tourne trop vite ! Attention les filles après on titube !  De gauche à droite et de droite à gauche, les deux mains hésitantes et les pieds qui buttent un peu quand c’est pas le genou qui lâche : c’est le typhon mon pote, c’est le typhon…

29
De l’amour non de diou ! Et à crédit pourquoi pas ? Et si tout l’amour du monde tenait dans le creux d’une ride. Et si c’étais moi qui avais raison. Et s’il suffisait de le dire pour qu’il existe. La clé est peut-être là, dans la forêt des cheveux blancs, dans le poing tapé sur la table, dans le pied qui éteint la cigarette, dans la porte qui claque…

30
Ne rien se vendre, ne rien négocier, se poser simplement parce qu’il fait chaud.

31
L’avenir n’est pas à vendre, monsieur ! Il ne suffit pas de mettre la clé dans le démarreur, il faut du courage monsieur, pour faire ce qu’il a fait ! Tout n’était pas écrit, tout n’est pas forcément comme on dit… Et vas-y ! On fait des enfants à carreaux qui changent de trousse une fois par an, et à quand le mariage des chiens !

32
Tu la connais cette heure tard, trop tard, où la langue balance de gauche à droite comme les jambes après le typhon. L’heure des mots qui buttent à la sortie de la bouche, tous ces mots préparés dans le silence de nos timidités qui s’étaient habillés beaux et qui tombent les uns derrière les autres à la sortie des phrases comme les moutons de panurge se suivent jusqu’au ravin. C’est l’heure des bouche-en-gras.

33
Et mon père de force, qu’est-il devenu ? Mon rocher d’homme est tout entier là dans cette casquette à voyou. Par la fenêtre les gens de famille rentrent jusqu’au tranquille… Ah ! Qu’il doit être bon de ne rien comprendre !

34
Et cette petite douleur du coté gauche de la poitrine. Toute petite douleur qui nous dit que le cœur est là, qui pique un peu mais qui tient. Nous sommes en route sous anesthésie générale, c’est pour ça que nous sommes invincibles, du moins à vue d’œil.

35
Et pourquoi pas, demain, Charles de Gaulles, le chant du coq, le casino du Tréport, la jupe d’Aline, les jambons de pays, Nounours, Hamlet, la confiture de carotte, on verra ça demain, la confiture de carotte, si ça s’trouve c’est même pas bon !